Monthly Archives: mars 2016
Qui est Philippe Stremler ?
Démission d’un adjoint au maire
Qui est Philippe Stremler ?
Des racines alsaciennes de sa famille, il garde le regard bleu, et le sens de l’engagement et de la loyauté. Il garde aussi une certaine réserve dans la relation, qui peut trancher avec le caractère extraverti des gens du Sud, mais qui est le pendant d’une grande sincérité dans l’amitié.
Né à Toulouse, où il passe son enfance, puis Frouzinois jusqu’au mariage, il devient seyssois en 1982, en venant s’y installer avec sa jeune épouse, Martine, qui deviendra un des piliers fondateurs de notre médiathèque et de la vie culturelle seyssoise, quand lui se met au service de la commune en étant conseiller puis adjoint, pendant plusieurs mandats.
Leurs deux enfants, nés à Toulouse, ont grandi à Seysses, où ils ont fait toute leur scolarité.
Un parcours formateur
Philippe est issu d’un milieu modeste, où être ensemble suffit au bonheur : « Nous étions une famille de cinq, avec trois enfants, et il n’y avait dans l’appartement qu’une chambre. Les deux garçons nous dormions dans la chambre, la fille dans le salon, et les parents dans la cuisine. » Et, pensant au confort excessif d’aujourd’hui, il ajoute avec un sourire serein : « Ce n’est pas ça qui fait le bonheur d’un enfant. » Une histoire de famille simple, structurée et structurante. D’où lui vient son goût pour l’engagement social ? Il ne sait pas : « Mes parents n’étaient pas engagés, ce ne sont pas eux qui m’ont donné le goût de l’engagement ».
Jeune homme, il termine ses études par une formation en électro-technique. Puis c’est 36 ans de carrière professionnelle chez EDF, d’abord comme technicien, puis comme cadre et expert. De cette carrière, il dit : « Le plus grand bien que j’aie eu, c’est de rentrer à EDF et de profiter de l’ambiance et du travail en commun, du travail d’équipe. L’esprit de service public, mais surtout un travail d’équipe. La richesse et la compétence des uns profitaient aux autres. A l’intérieur du cadre, il y avait de la liberté et de la créativité, de la confiance. On nous laissait être autonome et responsable. »
Avec une telle éthique dans la conception du travail en équipe, on peut comprendre qu’il ait été déçu par le fonctionnement de l’actuelle équipe municipale.
Un engagement municipal de trois mandats et demi
Premier mandat en 1995. « J’avais 37 ans. On est venu me chercher. La tendance du conseil était à gauche, avec un maire communiste. J’étais dans le service public et j’étais syndiqué, ça a donné confiance. J’ai eu un entretien avec M. Foulquié, qui ne m’a jamais demandé si j’étais encarté. » Cela tombait bien, encarté, il ne l’a jamais été.
Adjoint dès le mandat suivant, il le restera jusqu’à sa démission, cette année. « Je suis resté le plus jeune adjoint de l’équipe pendant pas mal de temps », dit-il avec un sourire.
« Au premier mandat, on découvre, on sait pas trop où on va. Je me suis intéressé au fonctionnement, à la vie de la commune. J’étais un des conseillers les plus assidus. J’étais assez intéressé par l’ensemble de la mission. »
Dans l’écoute par nature, il se met peu en avant en conseil municipal ou au cours de réunions, préfère le temps de la réflexion. Ce qui peut apparaître comme de la réserve, est en fait une volonté de réfléchir et de chercher des solutions. « L’adjoint aux affaires scolaires voulait arrêter, moi ça m’intéressait. Les horaires allaient bien avec mon travail, des rendez-vous le soir ou le mercredi, j’ai rencontré des parents, des enseignants. J’ai le caractère qui va bien, à écouter. » Ce tempérament très calme et réservé a été très apprécié de tous lors de débats souvent très passionnés autour des thématiques liées à l’Education Nationale.
« Quand Axe Sud s’est créé, j’ai tout de suite pris la cantine et l’école de musique parce que mes enfants y étaient. J’ai vu l’évolution d’Axe Sud au niveau de la capacité, du professionnalisme. Beaucoup de travail, mais ce sont des sujets très attachants : il y a l’alimentation, l’hygiène, le coût et ses aspects sociaux. »
Sur ce dernier mandat, où il se charge aussi d’être l’élu référent pour le patrimoine, il prendra le relais d’Agathe Lyons, ancienne première adjointe, pour les travaux d’extension du groupe scolaire Flora Tristan. Une lourde mission, complexe et exigente, à laquelle il donnera beaucoup d’énergie et de temps, et qu’il assumera jusqu’au bout, seul.
A aucun moment de notre entretien il ne parlera du temps passé avec le Conseil Général pour l’organisation du transport scolaire des écoliers seyssois, ni de sa participation auprès du syndicat d’électricité (SDEHG), où il défend année après année les intérêts de la commune. Sans parler des innombrables tâches invisibles, et non moins chronophages et énergivores.
Voilà qui est Philippe Stremler. Voilà qui était cet adjoint, notre adjoint, à qui les enfants de la commune, vos enfants, et nous tous, devons tant. Il a toujours travaillé dans l’ombre, bénévolement le plus souvent, week-end et vacances compris. Combien le savent ? Combien savent qui il est ? Combien peuvent le reconnaître dans la rue ? Combien lui diront merci ?
Chapeau bas, Monsieur Stremler
L’équipe municipale en ne rendant pas hommage à Philippe Stremler au moment de son départ, l’a traité comme s’il n’était personne, comme s’il n’avait rien fait.
Elle s’est trompée.
Tous ceux qui l’ont côtoyé le savent : il est une personne vraie, animée d’une personnalité profondément humaniste. Sa simplicité et sa discrétion, sa modestie, son humeur égale – toujours un énigmatique sourire – jamais un mot plus haut que l’autre, son dévouement à la commune, son sens de l’engagement pour des valeurs humanisantes, en font quelqu’un de précieux.
Ce quelqu’un de précieux pour tous les seyssois, l’équipe municipale actuelle n’a pas su le garder, elle lui a même donné envie de partir. Elle l’a fait perdre aux seyssois, qui pourtant avaient élu Philippe avec les autres, en connaissance de cause : vous pensez, après trois mandats de bons et loyaux services, des heures et des heures de bénévolat sans jamais demander de remerciements, qui n’aurait pas eu envie de le garder.
Chers élus qui nous représentez, qui souhaitez nous donner tant, nous avons voté pour chacun de vous, pour toute une équipe. Comment pouvez-vous laisser partir, en notre nom, puisque c’est en notre nom que vous êtes là, des personnes d’une telle valeur ? Des personnes capables de refuser la compromission des valeurs humanistes et démocratiques au seul motif du prestige ou de l’autoritarisme du chef.
Combien de démissions lors du précédent mandat, passées sous silence. Déjà deux démissions pour l’actuel mandat… Que doivent/peuvent penser les seyssois de ces démissions ?
Philippe savait coopérer et servir, sans pour autant être servile. Il pouvait se soumettre à la décision du groupe, et pour autant refuser l’arbitraire d’un seul et le silence des autres. Il savait encore s’indigner, pour lui et au nom des électeurs.
Cette rigueur éthique, cette intégrité, cette capacité à exister dans le groupe, à être soi, avec ses différences, prendre une place dans le groupe et dans le débat, c’est ce que les électeurs attendent de tous les élus d’une liste. En tant que nos représentants au conseil municipal, c’est de notre place, de notre dignité de citoyen qu’il s’agit à travers chacun de vous.
La restauration de la démocratie dans une localité où elle est tant mise à mal passe par cette exigence éthique. Merci Monsieur Stremler de nous avoir aidés à le penser par votre démission.
Bruno Berbis
Lire sur ce sujet l’article de La Dépêche du 6 janvier 2106 : http://www.ladepeche.fr/article/2016/01/06/2250107-demission-au-conseil-municipal.html
Ainsi que celui, plus récent, du 6 avril 2016 : http://www.ladepeche.fr/article/2016/04/06/2319161-philippe-stremler-expose-ses-photos-d-ecoles-du-monde.html
Vers des territoires sans âme
Vers des territoires sans âme
« Après quatre mois de réflexions, de discussions, de conseils techniques, les élus ont examiné hier plusieurs amendements. », indique La Dépêche du 12mars 2016 dans son article sur les fusions des intercommunalités (loi NOTRE : Nouvelle Organisation du Territoire de la République).
Pourtant, beaucoup de nos élus locaux appelés à voter la semaine dernière pour la fusion d’Axe Sud, de la CAM et de la Communauté de Communes Rurales des Coteaux du Savès et de l’Aussonnelle, ont dû le faire en étant informés au dernier moment, sans le recul nécessaire à la réflexion, comme en a témoigné la pétition frouzinoise proposée récemment sur change.org. Ils se sont sentis mis devant le fait accompli d’une fusion arrangée et décidée ailleurs et sans eux, et pour laquelle on ne leur a demandé que de lever la main.
« Les élus », dit le journaliste de La Dépêche. Mais peut-être ne veut-il parler que des maires. Et peut-être alors faut-il penser que les autres, les co-listiers (bien utiles au moment des élections) ne sont pas des élus ?
Juste des faire-valoir alors ?
Quand à nous, citoyens…
Citoyens de quoi d’ailleurs, puisque à l’échelle des nouvelles super-intercommunalités, la commune, pourtant territoire à échelle humaine, ne représente plus grand chose. Il va devenir difficile de se sentir habiter un territoire. Mais ce n’est pas grave… puisque ces territoires, nos élus en font justement des cités dortoirs, dénuées de sens, où le lien n’existe presque plus. Regardez tous les lotissements qui gangrènent aujourd’hui notre commune, regardez comme ils la défigurent et nous en détachent.
Et quel territoire ? Les unités géographiques et historiques des communes, qui participent à fonder l’identité citoyenne, sont effacées, noyées dans des dimensions qui n’ont plus rien de local ? Qui gère quoi ? Au nom des intérêts de qui ? « (…) au nom de l’intérêt de nos concitoyens et de la solidarité de ce nouveau territoire », dit le Président de la CCRCSA. Dites-moi, quelqu’un est venu prendre votre avis pour connaître ce que pourrait être votre intérêt ? En ce qui me concerne, non. Tout cela se fait avec une absence totale de démocratie.
Face à l’intercommunalité, quels pouvoirs restent-ils à nos représentants, nos élus, justement, et je ne parle pas seulement des maires. N’habitant pas le même territoire, quelle chance avons-nous de croiser un jour le maire de telle autre commune, éloignée, qui est celui qui justement gère ce qui nous préoccupe. Quels liens les élus vont-ils pouvoir garder avec des citoyens intercommunaux dont ils ne partagent pas la vie, dont ils ne savent rien ?
Déjà que…
Au nom de… quelques économies ? D’enjeux de pouvoir dans les politiques politiciennes des partis ?
Quel monde préparons-nous à nos enfants et petits-enfants ?
Le journaliste de La Dépêche dit plus loin : « Dans un climat consensuel et constructif, ils sont allés plus loin que le schéma initial. Ils ont décidé deux fusions d’intercommunalité (…) dans le Muretain ». Et, n’ayant peur d’aucune contradiction, deux paragraphes plus loin, le journaliste dit : « Si les débats d’hier ont été ‘fructueux’, ils ne sont pas unanimes. » Et de citer le maire du Lherm : « Il y a eu une OPA sur nous ». C’est dire si le climat était consensuel et constructif…
Oui, nos élus ont joué au Monopoly avec nos territoires, avec nos cadres de vies, avec notre quotidien, avec la démocratie. Et on est censé n’y avoir rien vu.
Je vous recommande aussi l’article du 16 mars, il est délicieux, à commencer par la photo et son côté… un peu soviétique, non ?
http://www.ladepeche.fr/article/2016/03/16/2304868-un-nouveau-territoire-au-sud-de-la-metropole.html
Bruno Berbis
Territoire et citoyenneté
Territoire et citoyenneté
Cet article est long. Ce n’est plus à la mode, les gens n’ont plus le temps de lire. Vous n’avez plus le temps de lire. On fait en sorte que vous n’ayez plus le temps de lire.
Mais comment le faire plus court ?
Il peut se lire par petits bouts, par petites touches. Le temps les mettra en lien dans une pensée.
Il développe une opinion, quelques axes d’une réflexion, sur ce qui pourrait – devrait ? - fonder la citoyenneté. En effet, dans le prolongement de l’article précédent (Territoire en perte d’âme), au train où vont les choses, on peut se demander si nos ‘élus’ se sont interrogés sur ce qui fonde et anime la citoyenneté ? La citoyenneté en tant que qualité, pas juste le fait qu’on ait le droit de voter pour eux. Car avant d’avoir envie de voter, il faut se sentir citoyen, il faut avoir un désir de citoyenneté.
Par ailleurs cet article renvoie à une série d’articles qui se trouvent sur ce site, et argumentent autour de l’idée de chemins de randonnée à Seysses. Ces chemins, malgré le travail constant de quelques personnes du Club Montagne seyssois, n’ont malheureusement toujours pas vu le jour.
Peut-être faut-il dire, puis développer, que :
Proposition n° 1 : On n’est pas citoyen ‘tout court’, on est citoyen d’un lieu, citoyen dans un lieu.
Proposition n° 2 : Pas de citoyenneté sans appartenance à un groupe : on est citoyen d’un groupe.
Proposition n° 3 : Territoire et communauté : deux piliers pour une citoyenneté enracinée dans le local et le quotidien.
Proposition n° 4 : La citoyenneté est d’abord locale.
Proposition n° 5 : C’est le désir de citoyenneté qui nous fait citoyen. A la source de notre qualité de citoyen, il y a l’intérêt puis le désir d’être ensemble.
Proposition n° 6 : La citoyenneté s’inscrit dans l’histoire du lieu et de ses habitants.
Proposition n° 7 : Etre citoyen fait partie de notre identité : nous nous identifions comme citoyen, et être citoyen nous identifie.
On n’est pas citoyen ‘tout court’, on est citoyen d’un lieu, citoyen dans un lieu
Nous sommes tous citoyens par principe. Pour autant, nous ne nous saisissons pas tous de cette qualité, nous n’investissons pas tous ce statut que la loi nous confère. Nous sommes tous citoyens, oui, mais citoyen de quoi ? Du monde, de la France, de l’Europe, d’une ville dans laquelle on vote de temps en temps ? Est-ce que notre citoyenneté ne prend pas d’abord sens dans le lien qui nous attache à un territoire, le lien qui y inscrit notre présence ?
Pour désirer investir une citoyenneté, il faut avoir le sentiment d’habiter quelque part, d’être de quelque part. On n’est pas citoyen ‘tout court’, on est citoyen d’un lieu, dans un lieu. Habiter ce lieu, c’est apprendre à le connaître, à l’aimer, c’est en faire son territoire : avoir pu l’explorer, avoir pu en parler avec d’autres, avoir le sentiment de le partager avec eux, en particulier à partir des traces qu’ils y laissent. Avoir envie de le protéger, de le transmettre. C’est là une attitude profondément ancrée en nous, dans ce qu’il nous reste même d’animalité. Quand ce lien a pu se construire, alors on n’habite plus seulement quelque part : on est de quelque part, c’est-à-dire que ce territoire, sa terre, son habitat, son patrimoine, les gens que nous y croisons, entrent dans notre identité.
Pas de citoyenneté donc sans territoire propre, sans un lien à un lieu, à une terre, à ceux qui l’habitent avec nous.
Les gens qui organisent aujourd’hui nos territoires et notre habitat ont-ils ce souci de favoriser l’attachement, l‘appartenance à un lieu ? Quelle identité pour des lotissements implantés sans réflexion sur le sens de leur présence à cet endroit précis du territoire ? Quel sentiment d’habiter quelque part dans ces lieux anonymes, artificiels, vides de tout désir d’habitat ? Quelle possibilité d’attachement quand on vient là par nécessité, en sachant qu’on en partira pour un ailleurs tout aussi vide de sens. Habiter un lieu dans l’anonymat, c’est en être absent. A quel déni de présence – déni d’existence ? – certains habitats peuvent-ils renvoyer les citoyens ?
Les gens qui organisent aujourd’hui nos territoires et notre habitat pensent-ils à cela ? Eux-mêmes, où habitent-ils ?
Autrefois, les anciens ne faisaient pas un village n’importe où. Il y avait toujours une bonne raison de le faire là, de se mettre à habiter là, tous ensembles, les uns à côté des autres. Un lieu, ce n’est pas anonyme, ce n’est pas n’importe quel endroit. Un lieu, on s’y sent vivre, on s’y sent accueilli, on s’y sent pris dans une histoire et invité à y participer. Un lieu est porteur d’un sens. Ce sens, perceptible, donne une couleur au quotidien. Il unifie le temps qui passe. Il habille nos présences, nous qui sommes là, simplement là, posés dans ce lieu.
On n’est pas citoyen tout court, on est citoyen dans un groupe : citoyen du monde, citoyen français, citoyen seyssois. Il n’y a pas de citoyenneté sans appartenance à un groupe
Pour être citoyen, il faut avoir le sentiment de faire communauté avec d’autres. On n’est pas citoyen tout seul, on est citoyen avec d’autres, au milieu d’autres, parfois à la marge des autres, mais pas sans les autres. Faire partie d’un groupe, de près ou de loin, c’est tisser des liens dans ce groupe, avec ce groupe, en devenir solidaire, se réjouir quand il se réjouit, compatir quand il souffre. C’est y nourrir son identité et nourrir de cette identité l’identité du groupe : en faire une de ses communautés d’appartenance. C’est là aussi une attitude profondément ancrée en nous, c’est notre humanité, notre besoin du social : l’homme est un animal social.
Pas de citoyenneté donc sans appartenance à un groupe.
Nos vies sociales favorisent-elles notre appartenance à un groupe plus large que celui de nos amis et proches ?
Territoire et communauté : deux piliers pour une citoyenneté enracinée dans le local et le quotidien
Habiter un territoire, faire partie d’une communauté, sont deux dimensions de notre citoyenneté. Prendre en compte ces deux dimensions, déjà inscrites en nous, contribue à la pleine réalisation du versant social de notre humanité : elles n’ont besoin que de pouvoir se révéler. En être conscient, pouvoir vivre dans ces dimensions, c’est trouver notre juste place au sein d’une unité plus large, dont nous sommes issus : l’humanité, et de ce que l’espèce humaine en a fait : une société.
La citoyenneté est d’abord locale
Territoire et communauté permettent la rencontre. Pas celle, virtuelle, d’internet et du téléphone. Mais bien celle de deux personnes qui se rencontrent par la parole et par le regard, et c’est cela qui alimente la pleine humanité en nous.
Cette rencontre est nécessairement locale, puisqu’il faut que les deux personnes soient dans le même lieu au même moment. La citoyenneté qui est appartenance à une communauté d’hommes, ne peut donc se fonder que dans le local. Elle ne peut devenir nationale ou mondiale que sur la base de cette première expérience, par extrapolation. Les citoyennetés nationale et mondiale se fondent sur des représentations symboliques ; la citoyenneté locale se fonde sur le réel des rencontres ici et maintenant.
La citoyenneté ne peut s’appréhender qu’en rapport avec un territoire et une communauté. Or ce qui unifie un territoire et une communauté, c’est la commune. Une commune, ce n’est pas seulement une unité administrative, une institution. C’est bien plus : une commune, c’est un pays. Ainsi, être d’une commune, quand on y est citoyen, c’est être d’un pays. Alors, quel meilleur cadre que la commune pour penser la citoyenneté, et peut-il y avoir meilleur fondement pour notre citoyenneté que la citoyenneté locale ?
Responsable en moi, responsable avec les autres, responsable pour les générations à venir. Dès lors qu’on aime un territoire, et qu’on se sent faire partie de la communauté qui l’habite, on ne peut que se sentir responsable de sa commune. Etre citoyen, c’est se sentir responsable de ce qui se passe, là où l’on habite, pour soi et pour les autres, en solidarité, avec l’idée qu’un jour, nous cèderons la place à d’autres générations, et que cette place, il faudra la laisser dans le meilleur état possible, enrichie. Heureux et fier de la trace que nous aurons laissée de notre occupation de ce lieu.
Désir de citoyenneté
La citoyenneté ne se décrète pas. Elle se construit. Elle se construit dans un désir d’ouverture à l’autre et au monde.
La qualité de citoyen ne nous vient pas en naissant. Il faut en avoir le désir, et ce désir ne peut naître que dans notre environnement local. Comme tous les désirs, il se construit avec le temps qui passe, se nourrit des rencontres et du manque. Si on ne l’en empêche pas…
Il se construit en découvrant le territoire que l’on habite, que l’on fait sien peu à peu au fil des ballades, territoire que l’on se met à habiter tout entier. Pas seulement une maison, un jardin clos, un appartement. Habiter, cela concerne un territoire tout entier. Une maison, on l’occupe, un appartement, on l’occupe. Un territoire, on l’habite.
La citoyenneté se construit par les rencontres que, cheminant, on fait là. On commence à les faire un jour, et puis on les fait encore, et encore. Un jour, on se rend compte qu’on les fait depuis longtemps. Il y a des lieux importants où les habitants peuvent se rencontrer, se découvrir, semblables et différents. Des trottoirs. Des chemins. Des places, des parcs. Des abords d’école. Des bibliothèques. Les habitants d’une commune doivent pouvoir parcourir leur territoire, à pieds, à vélo, seuls ou ensemble. Pas en voiture. On ne voit rien en voiture, on n’entend rien, on ne sent rien, on ne rencontre personne, on ne remarque aucune trace. On traverse.
Etre en lien avec une communauté, ce n’est pas perdre sa liberté. On peut se sentir en lien avec une communauté sans avoir de lien particulier à une ou des personnes de cette communauté. On peut être solitaire, secret, ne s’être lié avec personne, mais se sentir en lien avec une communauté, avec qui on partage le même territoire, les émotions du quotidien, et avec qui on fait l’histoire, en vivant là, très banalement.
Etre en lien, ça peut être simplement rencontrer la communauté qui habite le territoire lors d’une activité culturelle, un spectacle, l’adhésion à une association, une réunion de quartier. Ça peut être aussi être attentif à la gestion de la commune, en allant écouter les conseils municipaux, en participant aux enquêtes publiques, en en parlant. Ou, encore plus simplement, se croiser tous les jours sur le trottoir, en allant chercher son pain. Se saluer. Pas pour la politesse : pour croiser les regards.
Les trottoirs sont l’extraordinaire lieu de l’exercice de notre socialité, des espaces où chacun joue quelque chose de soi, qu’il ne joue nulle part ailleurs de la même façon, dans une relation éphémère qui autorise toutes les accroches et toutes les libertés. Jour après jour, mine de rien, ces moments éphémères nous ancrent dans un lieu, dans des regards, dans des mémoires. Comme elle est absente, la personne âgée qui passait chaque jour, à qui nous disions juste bonjour, un sourire, et qui ne passera plus jamais. Elle n’est plus là, et nous réalisons que nous nous étions attachés à elle, qu’elle a fini par être en nous, sans avoir rien fait de plus qu’un salut, au hasard des rencontres, échanger un sourire, une banalité avec elle. S’être demandé qui elle était, sans le savoir jamais.
Marcher sur un trottoir : la socialité en découle, pour peu que nous acceptions de nous regarder, de nous saluer. Encore faut-il aussi marcher, et ne pas prendre sa voiture, cette voiture-refuge, qui, avec la télévision, de notre isolement moderne.
On ne contraint pas des gens à être citoyens : on met en place des conditions de vie qui suscitent un désir de citoyenneté, qui en permettent l’épanouissement.
La citoyenneté s’inscrit dans une histoire
La citoyenneté se construit également en découvrant l’histoire de la commune que l’on habite. L’histoire, ce ne sont pas les grands faits historiques, c’est l’histoire anonyme des gens de tous les jours, c’est l’histoire d’un bâtiment, l’histoire d’une rue, d’un quartier. C’est l’histoire de la personne qui vient de décéder.
L’histoire, c’est le patrimoine. Pas les grands bâtiments imposants, les demeures prestigieuses. Pas seulement. Les maisons de chacun aussi, leur histoire, comment elles sont venues là, avec quel désir d’habitat, quelle créativité. Comment elles s’articulent dans un urbanisme dont le sens est visible, lisible, cohérent. Les habitants d’une commune doivent pouvoir connaître l’histoire du lieu où ils habitent.
Connaître un territoire, connaître son histoire, c’est le faire sien, c’est s’y attacher, lui donner une importance. C’est avoir envie de le protéger. C’est désirer s’inscrire dans cette histoire, banale et quotidienne. Le civisme découle de l’attachement à un lieu. Le civisme n’a de sens qu’en rapport avec un lieu, petit ou grand, dans lequel on se sent citoyen. Notre sens civique est plus fort quand nous habitons dans un lieu qui ne nous est pas anonyme.
Alors, être citoyen, c’est ça aussi : habiter un territoire avec d’autres, le connaître, en connaître l’histoire, l’aimer, vouloir le protéger, le transmettre.
Etre citoyen : une identité
Etre citoyen d’un lieu, c’est, sans s’en rendre toujours compte et sans que personne ne nous en demande compte, faire partie de l’identité de ce lieu et du groupe qui l’habite. Et ce lieu, ce groupe, c’est un peu nous. Ils font partie de notre identité. Nous sommes seyssois, et quand quelque part on parle de Seysses ou des seyssois, nous sommes soudain attentifs, nous nous sentons concernés.
Notre environnement est-il organisé autour de nous pour favoriser l’émergence et l’épanouissement de notre désir de citoyenneté ?
Regardez : tout est fait pour nous séparer, pour nous isoler. Tout est fait pour que nous ne puissions pas être citoyens.
Alors c’est parce que, en tant que citoyen, nous sommes tout cela, que nous devrions nous indigner contre les cités dortoirs, ces lieux que l’on organise pour nous – contre nous ? – en faisant violence à notre besoin de territoire et de communauté, en faisant violence à notre capacité à être citoyen. Ces lieux où on ne fait que dormir et consommer. Contraindre les gens à habiter de tels lieux, sans histoire, coupés du territoire, au nom de la rentabilité économique, c’est restreindre l’épanouissement de leur citoyenneté. Une fois leur parole citoyenne éteinte, une fois coupé de tout lien local, isolé – la virtualité que l’on nous offre ne remplacera pas cela – il est plus facile encore de leur imposer les conditions de leur asservissement.
C’est parce que, citoyen, nous sommes tout cela, que nous devrions aussi nous indigner contre le fait qu’on nous envoie aujourd’hui travailler et vivre aux quatre coins du monde, puis dans un autre, et encore dans une autre, loin de nos familles, sans jamais habiter pleinement quelque part, sans racine. Au nom de la rentabilité. Du marché. En nous faisant croire que notre bonheur est dans la consommation de biens inutiles. Mais notre humanité vaut plus que cette rentabilité ! A quelles valeurs nous asservissons-nous ? Ne vaut-il pas mieux gagner moins et rester là où nous pouvons donner une âme – en plus d’un sens – à notre vie ?
Sommes-nous citoyens lorsqu’on nous enferme et qu’on nous abêtit dans des embouteillages, parce qu’on a autorisé la construction de lotissements déshumanisants sans avoir au préalable prévu les infrastructures routières adéquates ? Le temps si précieux avant et après le travail, ce temps qui nous appartient, qui devrait nous appartenir, qui appartient à nos enfants, à nos proches, ils l’organisent pour que nous le passions dans nos voitures, à l’arrêt, tendus, agressifs envers les autres, séparés des nôtres, loin de nos lieux. Ce n’est pas un temps de citoyenneté.
A qui donnons-nous le pouvoir d’organiser les conditions de notre citoyenneté ? A qui profite le fait que nous ne sommes plus citoyens ?
On est de son enfance comme on est d’un pays, a écrit Antoine de Saint-Exupéry. On meurt mieux d’avoir été de quelque part, dans une famille, parmi d’autres. En humanité.
C’est pour cela que ce site est dédié au territoire, au lien, à la commune qui en résulte, Seysses. C’est pour cela qu’il parle de chemins de randonnée à créer, où les gens se croisent et apprennent leur territoire. Il est dédié au pays seyssois et à sa communauté, à son histoire et ses traces – le patrimoine -, à notre citoyenneté, notre citoyenneté seyssoise, qui débouche sur et fonde nos citoyennetés française, européenne et mondiale.
Chacun de vous peut y contribuer.
Pour boucler la boucle, et revenir à la fusion des communes et la mise en place d’intercommunalités à échelle non humaine.
La dilution du territoire, c’est aussi la dilution de la citoyenneté. C’est une perte d’identité, une absence d’âme, un manque à être.
Quel triste monde on prépare pour nous, avec notre complicité d’absents du débat.
Bruno Berbis