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Moulas
Avec le projet controversé de l’équipe municipale d’en faire l’acquisition, la ferme de Moulas refait parler d’elle…. Et de son chemin. L’occasion de parler de ce bout de territoire seyssois.
Moulas, à un peu plus de 2 km à vol d’oiseau de l’église, et une des fermes historiques de Seysses.
Le corps de ferme d’origine est toujours debout, depuis plus de deux siècles, complété au fil du temps par un pigeonnier et plus récemment par des bâtiments agricoles.
Le bâtiment d’origine pourrait être antérieur à la révolution française. Son pigeonnier, non présent en effet sur le cadastre de 1813, a été rajouté après cette date : il est d’ailleurs extérieur au bâtiment principal, contrairement à d’autres fermes seyssoises qui intègrent le leur dans le corps de ferme au moment de leur construction.
Avant la révolution française, posséder un pigeonnier était un privilège seigneurial. Après la révolution, les paysans ont eu le droit de construire des pigeonniers, et on a vu apparaître un nouveau modèle de bâtiments, avec des pigeonniers intégrés à la structure du bâti principal, et souvent mis en valeur avec fierté. C’était un signe de richesse.
Après la révolution, les paysans ont eu le droit de construire des pigeonniers, et on a vu apparaître un nouveau modèle de bâtiments, avec des pigeonniers intégrés à la structure du bâti principal, et souvent mis en valeur avec fierté. C’était un signe de richesse.
On peut alors penser que si le corps de ferme de Moulas a été construit sans pigeonnier, c’est peut-être parce qu’il l’a été à une époque où ce n’était pas encore permis, c’est-à-dire avant la révolution.
Moulas, territoire agricole
Sur notre territoire, avant-dernière terrasse de la Garonne, la particularité de la ferme de Moulas est qu’elle se situe sur une zone géologique où le grep est peu profond. Le grep, c’est le socle géologique qui s’est constitué par dépôt alors que la Garonne passait là, il y a des centaines de milliers d’années. Ce socle est composé des galets charriés depuis les Pyrénées par le fleuve, enrobés dans de l’argile mêlée de silice, très résistant et imperméable. Dans les milliers d’années qui ont suivi le retrait de la Garonne plus au sud (la dernière terrasse est celle qui forme notre route de Toulouse, la rue Boltar et la route d’Ox), une couche de dépôts d’origine végétale s’est entassée sur ce socle de grep et son limon.
Or justement, à Moulas, cette croute est fine, le grep est proche de la surface, et comme il a cette propriété d’être imperméable à l’eau, la terre de Moulas est une terre qui patauge dans l’eau quand il pleut, cette dernière ne pouvant être suffisamment absorbée. C’est sans doute ce qui lui a valu son nom : Moulas, qui en occitan, d’après le dictionnaire étymologique des idiomes méridionaux de 1898, signifie « mollasse, pâteuse ».
Une des parcelles, entre Moulas et Méric, était appelée autrefois « merdanson », c’est dire si elle devait être boueuse. Il s’agit d’une des parcelles où s’est construite la ferme photovoltaïque, qui n’a rien d’une ferme, et qui mériterait bien de reprendre ce nom de « merdanson », car elle défigure notre entrée de village et notre paysage agricole, tout en nous faisant payer plus chère notre électricité.
Moulas, lieu-dit
La ferme de Moulas pourrait être depuis oubliée des seyssois, car sans grand intérêt autre qu’agricole. Mais son nom s’est inscrit durablement dans l’histoire grâce à la cartographie. Au début du 19ème siècle, en effet, notre territoire était constitué de quelques fermes espacées et isolées, reliées au cœur de village par des chemins convergents vers ce dernier. Ainsi, si les chemins qui conduisaient dans les autres communes portaient le nom de ces communes (chemin ou route de Fonsorbes, de Plaisance, d’Ox, de Muret, de Toulouse, etc…) ceux qui ne menaient que dans une ferme, portaient eux le nom de la ferme : chemin de Gay, chemin de Couloumé, chemin de la Bourdasse, etc… autant de fermes historiques seyssoises. Le chemin qui menait à la ferme de Moulas s’appelait ainsi logiquement le chemin de Moulas. Inscrit par les géomètres de Napoléon sur le premier cadastre national en 1813, ce nom de chemin est arrivé jusqu’à nous, ce qui a donné au toponyme Moulas sa pérennité.
Une ferme, et… un chemin
Aujourd’hui, le chemin de Moulas est un chemin rural, public donc. C’est le chemin rural n° 6 de notre commune. Nous avons tous le droit de nous y promener, comme sur les autres chemins ruraux et communaux de la commune. Ce chemin nous appartient et ne saurait être vendu.
La commune de l’ayant pas entretenu, son trajet s’efface peu à peu. Vu d’avion, on le distingue cependant encore. Il est aujourd’hui barré par la ferme photovoltaïque, qu’il faut donc contourner pour rejoindre la route de Fonsorbes. L’ancienne équipe municipale, en effet, s’est crue autorisée à vendre ce tronçon du chemin, pourtant propriété de tous les seyssois et patrimoine territorial vieux d’au moins deux siècles.
Quel avenir pour le patrimoine seyssois des chemins ruraux ?
Comme on peut le voir sur la photo au début de cet article, le propriétaire actuel de la ferme s’est approprié illégalement ce chemin public en plaçant en travers une grosse barrière, alors que chacun est libre de passer. C’est plus de deux siècles de patrimoine seyssois qui sont ainsi déniés, avec la complicité des précédents maires de la commune, qui n’ont rien fait pour rétablir le droit des seyssois de circuler librement sur ce chemin.
De nombreuses communes dans notre département et partout en France, cherchent depuis une vingtaine d’années à réhabiliter des chemins ruraux pour permettre la randonnée et le vélo sur leur territoire. Quand la commune de Seysses se préoccupera-t-elle de protéger ceux que l’histoire a légués à chaque seyssois ? Comment en prendra-t-elle soin ? Que compte-elle transmettre aux futures générations de ce patrimoine ?
Peut-être faut-il redire le sens d’un bien patrimonial et notre responsabilité collective : Nous, Seyssois, aujourd’hui, nous sommes co-propriétaires d’un ensemble de biens que les générations antérieures nous ont légués, que, parfois, elles ont construits de leur propres mains, pour nous, pour tous, à travers le temps. Plus que propriétaires, nous en sommes responsables. Nous les avons reçus. Que ce bien nous intéresse ou pas, nous devons le transmettre en bon état. Ce n’est pas seulement une question de droit et de loi, c’est une question morale et citoyenne.
Quand au chemin de Moulas, outre son caractère patrimonial, son enjeu stratégique n’est pas à démontrer : c’est le seul chemin sur des kilomètres qui relie la route de Fonsorbes au chemin de Couloume. Comment peut-on accepter qu’il disparaisse au profit d’une seul et pour de l’argent, comme cela s’est déjà fait pour la ferme photovoltaïque ?
Pour finir, relativement au projet d’achat de la ferme Moulas (presque un million d’euros), des questions restent ouvertes : n’y a-t-il pas des investissements fonciers plus urgents pour notre territoire (achat de parcelles clés pour une modification du tissu routier par exemple) ? Notre commune a-t-elle vraiment besoin d’une ferme pédagogique, en particulier : quelle analyse des besoins de la commune a conduit à la décision de créer une ferme pédagogique ? La ferme de Moulas est-elle la ferme idéale pour un tel projet ? Est-ce le bon moment pour lancer ce projet ?
Patrimoine
Il est encore temps
de réduire ses impôts
grâce l’église de Seysses !
Notre église est en travaux :
J’écris ‘notre’ église, bien que je sois athée, parce que l’église de chaque commune est un bien public et communal, depuis la révolution française. Par la suite, la Loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes a confirmé que les églises paroissiales construites avant 1905 (c’est le cas pour Seysses) étaient propriétés des communes, et affectées gratuitement aux diocèses pour le culte catholique. La loi prévoit également que les lieux de culte construits après 1905 sont propriétés des diocèses, s’ils ont été construits par ces derniers.
Pour mémoire, l’église de Seysses a été construite à la fin du XVIIIème siècle d’une part à partir des fonds publics de Seysses, largement aidée dans cette dépense par le baron Guilhermin, seigneur de Seysses et propriétaire du château (actuelle clinique) qui a fait l’avance des fonds ; d’autres parts à partir de la contribution importante des ecclésiastiques locaux qui touchaient les grosses dîmes (impôts dû aux ecclésiastiques sur le blé et le vin). La dîme étant de toute façon payée par la population, à l’arrivée, c’est cette dernière qui a, directement ou indirectement, financé notre église.
J’écris aussi ‘notre’ église, parce que ce bâtiment cristallise un ensemble de symboles et de fonctions que nous partageons tous, que nous soyons croyants pu pas, ensemble de symboles et de fonctions qui nous conduit à lui attribuer une signification commune et partagée. Symbole identitaire d’abord : en tant que patrimoine ancien, non seulement par sa présence forte au cœur de ville, mais aussi parce qu’elle est visible de loin, l’église participe de l’identité de la commune.
Lieu du lien social, encore aujourd’hui : l’église reste un des vecteurs du lien social, soit par les offices religieux qui s’y tiennent, soit par les concerts qu’elle accueille, soit par le marché qui s’y adosse, mais aussi parce qu’elle est un repère facile pour se donner rendez-vous quand on ne connaît pas Seysses.
Présence sonore et tintinnabulante enfin, l’église rythme la vie des ceux d’entre nous qui vivent assez près pour entendre les cloches égréner les heures, solliciter de nous une pensée pour un enterrement, susciter un sourire pour un mariage, saluer l’heure du repas, ou l’heure du repos, midi et soir, avec l’angelus. Ses luminères, pour Noël, haut dans le ciel et dans la nuit, réveillent en nous notre âme d’enfant.
Au centre de notre grande place, elle est une respiration dans la densité du paysage urbain, et c’est à son ombre que se tient depuis tant d’années notre marché le vendredi matin. Peut-on imaginer notre ville sans elle, au débouché de la rue de la République, dans l’alignement de la rue du Général de Gaulle, depuis l’école, où, en hauteur sur l’autre rive du Binos, on la découvre dépassant des toits de nos maisons.
Notre église est un beau bâtiment, reconnu par les Bâtiments de France qui l’ont classée dès : Elle est un témoin de l’architecture traditionnelle toulousaine. L’église renferme des trésors d’art et d’artisans dont un est classé :
Nous sommes dépositaires de cette beauté, de ce patrimoine, et nous sommes responsables de sa transmission aux prochaines générations, qui seront croyantes ou pas, mais qui sauront elles aussi s’émerveiller. Ces futures générations plus tard seront athées ou pas, mais aujourd’hui elles croient en nous, en notre capacité à gérer, pour eux plus tard, à leur léguer ce que nos anciens nous ont confié. C’est aussi par respect pour nos anciens que nous devons l’entretenir, la conserver. Qui, jamais, la reconstruira si elle disparaît ?
Cette église, le lavoir de la poste, le parc de la Bourdette, l’ancienne halle devenue notre médiathèque, c’est à peu près tout ce qui nous reste, nous, citoyens, de notre patrimoine le plus ancien, puisque le château est privé. Que nous soyons catholiques ou pas, cette église est notre propriété commune. Chacun peut y entrer pour y goûter le calme, la fraîcheur, s’y recueillir, contempler le travail de tant d’artisans qui, autrefois, ont contribué à la rendre belle. Prendre la mesure du temps qui s’est écoulé depuis la révolution française, et ce que nous en avons fait.
J’écris enfin ‘notre’ église parce que ce bâtiment en cette fin 2018 a besoin de nous. Pour reprendre les mots de la Fondation du Patrimoine, fondation partenaire de l’action de Stéphane Bern (le loto du patrimoine), c’est « un édifice ancien sur lequel le temps a fait son œuvre ». Par ailleurs, il a été construit sur un terrain remblayé à la suite de la destruction de dix maisons qui occupaient l’emplacement autour de l’ancienne église, plus petite. Le remblai avec le temps s’est un peu affaissé, et avec lui le clocher, qui penche légèrement vers l’avant.
Un ensemble de travaux sont en cours :
¨ dépose des enduits intérieurs instables
¨ changement des briques dégradées et tout particulièrement celles des soubassements
¨ traitement des fissures intérieures et extérieures de faible importance par coulinage et rejointoiement
¨ mise en place de tirants dans la façade Ouest et dans les murs perpendiculaires à cette façade sur deux niveaux
Restauration des parements :
¨ nettoyage des parements
¨ purge, relancis de briques, rejointoiement à la chaux, coulinage
¨ changement des éléments en pierre de taille
¨ traitement étanchéité des terrasses (balustres)
¨ mise en place de couvertines sur les reliefs de modénatures (corniches, fronton)
¨ mise en œuvre de badigeons et d’eaux fortes sur les maçonneries restaurées
¨ restauration du portail bois et mise en peinture
Le coût des travaux avait été évalué à 488.958,26 € TTC. On sait aujourd’hui que cette somme va être dépassée en raison de travaux de consolidation supplémentaires imprévisibles. L’aide de tous n’est donc pas superflue.
Un appel à don a été organisé par la Fondation du Patrimoine :
https://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/eglise-de-seysses
La souscription a été ouverte il y a plusieurs mois, sans que (presque personne) ne la remarque. Pour le même projet, la petite commune de Laroque-D’Olmes en Ariège a recueilli 24500 euros. Nous, avec plus de trois fois plus d’habitants, nous n’en sommes qu’à 650 euros, à un mois et demi de la fermeture de la souscription.
Et pourtant, nous sommes tous bénéficiaires de la présence de ce beau bâtiment communal dans notre environnement.
Qui plus est, les deux tiers de votre don vous sont reversés en défiscalisation. Vous donnez 100 euros, cela vous revient à 34 euros ! Trois paquets de cigarettes, quoi. Alors…
Sur ce sujet, vous pouvez consulter l’article du site de ma mairie de Seysses :
https://www.mairie-seysses.fr/leglise-de-seysses/
La plus vieille rue de Seysses
Notre rue Boltar a plus de 2000 ans !
Pour répondre à l’improbable question : Si on s’était assis à la terrasse d’une crêperie rue Boltar il y a 2000 ans, qu’aurions-nous vu ?
Très tôt dans l’histoire, notre territoire seyssois a intéressé les hommes et a été aménagé.
Des traces d’une occupation humaine au néolithique ont été trouvées à Muret. On peut penser que Seysses aussi était habitée. L’emplacement de notre actuel centre ville bénéficie de conditions naturelles qui en font, en effet, un lieu intéressant pour un groupe d’humain cherchant un endroit où s’établir. Situé en hauteur, à l’angle entre le marécage de la Saudrune (qui à l’époque n’était pas canalisée), et le fossé du Binos, il offre des ressources en pêche, et met à l’abri des inondations. Il y a là par ailleurs au moins trois sources, encore présentes aujourd’hui, dans le parc et devant la poste. Notre territoire, comme tout le Sud Ouest de la Gaule, est couvert d’épaisses forêts de chênes, arbre qui donnera plus au Nord son nom au Quercy (quercus signifie chêne en latin). Cette forêt fournit du gibier aux hommes qui ont défriché l’espace entre Saudrune et Binos, et qui le cultivent sans doute déjà. La belle vie.
Cliquer sur la carte pour l’agrandir
Seysses n’a vraisemblablement pas attendu l’arrivée des romains pour bénéficier d’une route. Il existait déjà depuis fort longtemps de grands courants d’échanges commerciaux entre les différents peuples de la Gaule. Les routes gauloises étaient constituées de voies empierrées et encadrées par des fossés. Ces voies permettront d’ailleurs aux légions de César de circuler rapidement et expliquent que la conquête de la Gaule se soit faite très vite.
L’existence à l’époque gauloise d’une route correspondant au tracé de la route de Seysses, donc à celui de la rue Boltar, fait sens et paraît probable, puisque de nombreuses voies romaines sont d’anciennes voies gauloises réaménagées. Ce qui désigne ce tracé sur notre territoire c’est sans doute la présence du rebord d’une terrasse surélevée, trace du déplacement du lit de la Garonne vers le Sud au fil des millénaires. Seysses, comme Frouzins, en effet, est à cheval sur deux terrasses de la Garonne. Dans cet environnement très boisé, difficilement pénétrable, le rebord d’une terrasse naturelle est une aubaine pour circuler. La nature a tracé le chemin, qu’il ne reste plus qu’à suivre. La végétation est plus facile à contrôler, elle repousse plus difficilement du fait de la rupture de niveau du terrain. On peut donc parier que bien avant la voie romaine, future route de Seysses, cette particularité géologique a du être exploitée par les hommes pour se déplacer plus facilement. Enfin, sa situation en hauteur, rend ce chemin toujours praticable, à l’abri des inondations, ce qui n’est pas le cas juste en bas du talus, et vers la Garonne, où la Saudrune et ses errements au fil des inondations, créent un marécage, des gourgues dirions-nous aujourd’hui pour employer ce mot régional (gorga en Gascon, est un bourbier planté d’arbres).
[cliquer sur la carte pour l'agrandir. Seysses, trop petite, n'est pas indiquée, mais, à mi-chemin entre Toulouse et Saint-Bertrand de Comminges (Lugdunum Convenarium), il y a Calagurris, c'est-à-dire Saint-Martory]
Au début de notre ère chrétienne, les romains, Pompée à leur tête, victorieux sur les peuples de notre région et sur ceux du Nord de l’Espagne, souhaitent conforter leur autorité sur le territoire nouvellement soumis et y permettre la pénétration du commerce italien, en particulier celui des vins, produit inconnu des Gaulois. Ils créent de toute pièce une place forte, Lugdunum Converanum (Saint-Bertrand de Comminges), idéalement placée à l’intersection de la plaine et d’un passage dans les montagnes vers l’Espagne, y installent des membres de l’armée issus de peuples espagnols et pyrénéens, peuple hétéroclite et immigré qui prendra le nom de Convènes (convena signifie en latin ‘étrangers venus de partout’, et a donné ensuite Comminges). Ils relient cette place forte à Toulouse (Tolosa) par une voie qui existe donc déjà, mais qu’ils améliorent et mettent aux normes romaines : la voie romaine de Toulouse à Saint Bertrand de Comminges. C’est la naissance officielle dans les documents écrits de notre route de Seysses et de la rue Boltar. Nous entrons donc là dans l’histoire, tout comme Frouzins, Ox, Saint-Hilaire, Lavernose, et les communes de la RD15 actuelle, départementale qui correspond point par point au tracé de l’ancienne voie romaine.
La culture celte ne reposait que sur la transmission orale des informations, et il n’y a donc pas de traces écrites de ce qu’étaient les routes gauloises. Ce n’est qu’à partir de la conquête par Jules César qu’apparaissent des informations écrites, donc transmissibles dans le temps, sur les réseaux routiers. Notons que comme partout en Gaule, les ingénieurs romains ne feront que reprendre dans leur grande majorité les tracés gaulois, en les améliorant. Ces aménagements vont de la rectification des tracés à la construction de ponts, gués ou stations, et sont réalisés par les légions.
Ainsi, les architectes qui ont façonnés notre rue Boltar, ce sont donc d’abord la géologie et la climatologie qui déplacent le cours de la Garonne et créent un rebord bien pratique, puis les Gaulois qui mettent en place une première structure roulante, et enfin les romains qui consolident le tracé et adaptent la chaussée. Notre voie romaine n’a d’ailleurs bénéficié que d’une légère mise aux normes, car il n’y avait pas besoin d’une chaussée solide, les convois lourds utilisant préférentiellement la Garonne, voie de transport de marchandises plus rapide. Vers Carcassonne par exemple, où il n’y a pas fleuve, l’infrastructure de la chaussée était bien plus solide, pour accueillir de lourds chargements, ce qui fait qu’on trouve davantage de traces de la voie romaine que dans notre région, où elles sont rares.
Seysses n’est pas une simple station sur le parcours vers Saint-Bertrand. Elle est aussi au croisement de deux axes romains, l’un partant vers Ox (la voie romaine la plus connue et la plus fréquentée), le second vers Muret. Croisement idéal pour une petite halte sur le chemin, y compris pour les commerçants qui pouvaient en profiter pour acheter aux soldats romains leur butin, échanger des marchandises, les uns venant du Sud et des montagnes, les autres de l’Ouest. Les origines de notre Intermarché, en quelques sortes, au même endroit…
Les poids lourds ne fréquentaient pas encore ces voies. En ces temps, en effet, le transport par voie de terre était beaucoup plus cher que le transport fluvial. Les poids lourds empruntaient donc la Garonne, avec leur chargement de bois, de marbre et autres pierres pyrénéennes, de récoltes agricoles qui alimentaient Tolosa, d’amphores de Boussens où se trouvaient deux fabriques. La voie seyssoise, quant à elle, devait servir surtout à la circulation des hommes, en particulier les fonctionnaires et messagers, qui utilisaient les voitures de la Poste Impériale, mais aussi les voyageurs et les marchands qui disposaient de différents types de chariots, le plus rapide étant le cisium, sorte de cabriolet à deux roues tiré par deux chevaux non ferrés et munis d’attelages.
La rue Boltar était donc beaucoup plus calme…
On peut imaginer le paysage que voyaient les gens qui, fréquentant la voie romaine, traversaient le hameau gaulois appelé à devenir notre commune : une terrasse surélevée au dessus d’une courte plaine cultivée, parfois inondée, qui court jusqu’à la Garonne, plein Sud, vers le futur site de Muret. Le dessus de la terrasse, mais aussi le contrebas jusqu’au fleuve, sont couverts d’une forêt de chênes difficile à franchir en dehors des voies. Lorsque l’on arrive à Seysses, de grands espaces défrichés, là où la terre est fertile. La voie traverse cet espace. Elle fait 12 mètres de large. Elle est renforcée pour résister à la pression des roues en bois, et aux sabots des bêtes non ferrées. Jusqu’à 80 cm de remblais, fait d’un lit de galets, puis de fragments de tuiles, de poteries, d’amphores. De gros galets délimitent le bord de la voie et la soutiennent (le schéma proposé provient du site Palladia Tolosa). Elle est bordée de deux fossés. Avant d’arriver à Seysses, en bord de route, on croise quelques sépultures romaines disséminées de loin en loin, avec leurs inscriptions dans la pierre. Au bout du hameau fait de cabanes de bois et de torchis (au bout de la rue Boltar donc, et à la pointe du triangle terrasse/Binos), un carrefour, presqu’à l’emplacement de notre actuel carrefour, où la voie se partage en deux : tout droit on continue vers Saint-Bertrand (l’actuelle route d’Ox), à gauche on va vers Muret, qui existe déjà (Une villa occupait le site de l’actuel centre ville de Muret ; entourée de murs de protection elle avait pris le nom de Murellum qui est devenu Murel puis Muret au Moyen Âge). C’est à cette bifurcation des chemins que s’installent bien plus tard une ferme, Fourq (fourche en occitan), aujourd’hui propriété du ministère de l’intérieur qui l’utilise pour le centre pénitentiaire.
A l’arrière du hameau, vers le Nord, on trouve la forêt et des terres défrichées, que les Gascon appelleront boulbènes, de l’occitan bolbena, terres sablo-argileuses acides, très fertiles, qui ont données leur nom à la rue des Boulbènes. Ces terres sont aujourd’hui encore cultivées. Ce sont entre autre les champs qui courent jusqu’à Frouzins. Et puis, plus loin, des terres riches en galets charriés par la Garonne depuis les Pyrénées, mais peu fertiles, qui ont donné son nom à notre commune : Sèishes, terme occitan gascon qui signifie « les terrains caillouteux », qui deviendra par francisation ‘Seysses’. Terres sans doute négligées par les seyssois gaulois, sauf peut-être pour le pâturage et la chasse. Avec l’arrivée des romains et de la culture du vin dans notre région, ces terres très adaptées à la vigne, deviendront précieuses et feront de notre commune un vignoble largement exploité et connu sur la place toulousaine. Jusqu’au Phylloxera, insecte qui ruinera notre économie locale des siècles plus tard.
C’est sur cette voie romaine chargée d’histoire, que nous circulons tous les jours, chemin qui a vu passer tant de charrettes à bras, à bœufs, cabriolets à chevaux des fonctionnaires romains, de gens à pieds, de commerçants, de guerriers et plus tard de chevaliers, d’abord sentier naturel et pratique, tout tracé par le rebord de terrasse, puis voie romaine, puis route de Seysses pour les toulousains, marquant une destination fréquentée, et pour nous rue Boltar, après avoir été entre autres chemin de Lavernose sous Napoléon 1er.
A propos, pourquoi les Toulousains ont-ils nommés cette route ‘route de Seysses’, et pourquoi pas route d’Ox, ou de Frouzins ? Une route prend le nom de la destination principale qu’elle dessert, le nom d’un lieu où beaucoup de gens vont, souvent dans un but particulier, dont le commerce. Ainsi, pour la plupart des toulousains, on n’allait pas à Frouzins, il n’y avait rien de particulier à faire à Frouzins, on ne faisait qu’y passer. Seysses par contre était connue à Toulouse. Des Toulousains se rendaient régulièrement dans notre commune, pour le commerce du vin, car notre territoire, avec ses terres caillouteuses (Sèishes) fournissait une bonne partie du vin consommé à Toulouse. Ce vin était acheminé, via la route de Seysses, jusqu’à Saint-Cyprien, où se trouvait le marché au vin, dans la rue de Varsovie (varso vi signifie ‘verse le vin,’ en occitan, et n’a rien à voir avec la ville polonaise du même nom). Seysses était donc une destination pour les Toulousains.
Pour le nom des routes, on choisit aussi parfois la commune qui est le premier carrefour rencontré. Seysses est le carrefour de plusieurs voies anciennes, la fin du comté toulousain et le début d’une autre terre seigneuriale d’alors : la Gascogne. Il était important donc de repérer Seysses parmi les autres toponymes locaux.
Cette reconstitution s’appuie sur des documents historiques, dont la carte archéologique de la Gaule, de Julie Massendari, qui répertorie les fouilles connues à ce jour. Pour Seysses, elle signale :
- Des traces de l’ancienne voie romaine en plusieurs endroits de la commune, par exemple à la boulbène des Vitarelles, tout près de la RD15, à la limite de Seysses et Frouzins.
- Des traces de tombes au même endroit, en bordure de voie romaine.
- La trace d’une voie romaine dans la zone Ségla, entre la RD15 et la Saudrune, d’une largeur de 12m, orientée vers Muret d’un côté, et vers l’Est de Seysses et Plaisance du Touch de l’autre côté. Cette voie est postérieure à celle de la route de Seysses.
- Un établissement antique, de type Villa romaine, là où se trouve actuellement la ferme Cartan, près de la RD15 et à l’Ouest de la Saudrune.
- Chemin du Préjugé, dans le quartier du Monicard, rive gauche du Binos, des fragments de tuiles plates et d’amphores à vin italique.